Source: Orient le jour
Thursday 22 April 2021 12:55:00
La forêt de Baabda, dernier et plus grand bois naturel aux portes de Beyrouth, continue de faire l’objet d’un litige entre un entrepreneur, désireux de construire une station-service à l’une des entrées du site, et des écologistes qui dénoncent l’impact d’un tel projet sur la biodiversité et le bien-être des habitants de la région. Faisant fi des retombées écologiques de la construction d’une station-essence en un tel endroit, le Conseil d’État a rejeté cette semaine le recours présenté en juin 2019 par le Mouvement écologique libanais (LEM, qui regroupe 60 ONG environnementales) et l’ONG Terre Liban, dont les bureaux sont basés à Baabda, sous prétexte que ces organisations « n’ont pas qualité ou intérêt à présenter un tel recours ».
« C’est très grave, lorsque la justice dit que des ONG environnementales n’ont pas qualité à défendre l’écologie », s’indigne Paul Abi Rached, président de LEM et de Terre Liban, qui a fait de cette forêt, poumon d’une capitale de plus en plus bétonnée, son cheval de bataille depuis de nombreuses années. « Toute personne physique ou morale a l’obligation de veiller à la protection de la nature, selon l’article 4 de la loi pour la protection de l’environnement. Que serait-ce alors s’il s’agit d’une ONG créée pour défendre l’écologie ? » s’insurge ce militant de la première heure.
Vers une location de la forêt
Le terrain de la forêt de Baabda, ou forêt des moines selon son appellation en arabe, est la propriété du couvent Saint-Antoine des pères antonins, à Hadath. L’ONG Terre Liban s’est occupée de cette forêt de 1995 à 2017, grâce à un accord passé avec les pères antonins. Le projet de construction d’une station-service remonte à juin 2019 et a suscité de nombreux remous, mais Paul Abi Rached révèle que la municipalité de Baabda a commencé à travailler sur des projets pour la sauvegarde de la forêt, en coordination avec les pères antonins.
Ces projets pourraient se concrétiser par une location de la forêt par la municipalité. Le père Nader Nader, supérieur du couvent Saint-Antoine de Hadath, n’était pas disponible hier pour un entretien. Mais le président de la municipalité de Baabda, Antoine Hélou, a confirmé l’information à L’OLJ. « Je me suis entretenu avec le père supérieur et il a fait part de son souhait de préserver la forêt. Nous avons un accord de principe pour louer le terrain. J’espère que le conseil municipal approuvera ce projet », indique M. Hélou à L’OLJ. « Les gens ne veulent pas de cette station-service et ils l’ont fait savoir. Ce n’est pas moi, mais le mohafez qui avait signé le permis de construction de la station-essence à l’époque. Pour ma part, je n’ai jamais été convaincu par le projet. Nous avons besoin de cette forêt », souligne-t-il. Le président de la municipalité assure par ailleurs « ne pas être opposé aux projets de l’entrepreneur de manière générale ». « Il peut construire sa station ailleurs à Baabda, dans un endroit plus propice », indique M. Hélou.
Lieu important pour la biodiversité
Les écologistes et les habitants de la région se sont opposés au projet pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la station-service serait située sur un virage dangereux car très serré. « Lorsqu’on veut construire une station-service sur un virage, il faut que les automobilistes puissent voir les voitures rentrer et sortir à une distance minimale de 100 mètres, explique Paul Abi Rached. Sans parler de la pollution que cela va entraîner pour la forêt et les immeubles résidentiels.
De plus, il y a déjà une autre station-service dans le secteur, 400 mètres plus loin. Or la loi prévoit un minimum de 600 mètres entre une station et une autre », ajoute-t-il. Paul Abi Rached rappelle que la forêt a été classée en 2016 comme lieu important pour la biodiversité au Liban par Bird Life International et Critical Ecosystem Partnership Fund CEPF. Une pétition lancée fin 2020 avait réussi à collecter 2 233 signatures pour la préservation de la forêt et pour lui accorder un statut de réserve. La forêt abrite une diversité biologique et compte entre autres sept espèces d’oiseaux en voie de disparition, ainsi que cinq espèces de plantes que l’on trouve uniquement au Liban et deux que l’on ne trouve qu’au Liban et en Syrie.
Contacté par L’Orient-Le Jour, l’homme d’affaires Chadi el-Sabeh, initiateur du projet de la station d’essence, assure pour sa part qu’il compte bien reprendre les travaux de construction. « Bien sûr que je vais continuer la construction. Cela fait cinq ans que le projet est en suspens et je ne l’aurais pas entrepris si j’avais su que ce serait aussi compliqué. Mais j’ai déjà investi beaucoup d’argent », indique-t-il.
« La municipalité ne s’est jamais prononcée ni pour ni contre mon projet. Elle a laissé le mohafez prendre la décision », se défend-il quand on l’interroge sur le rejet du conseil municipal. « Les informations données par Paul Abi Rached sont fausses. Il y a à peine quelques arbres sur mon terrain », lance encore M. Sabeh qui dit avoir obtenu tous les permis nécessaires. Les écologistes affirment le contraire, photos à l’appui.