Source: Orient le jour
Thursday 22 April 2021 11:02:00
Une boucherie sans viande, une supérette dont les étalages sont presque vides et quelques personnes à peine qui déambulent dans les rues étroites. À Khandak el-Ghamik, quartier défavorisé majoritairement chiite dans le centre de Beyrouth, le poids de la crise économique écrase tout le reste. Ou presque. Il n’est pas venu à bout des drapeaux d’Amal et des portraits de Nabih Berry. « Kellon yaane Kellon (tous ça veut dire tous !), mais pas Nabih Berry ! » affirme Mohammad Ayache, gérant de la supérette. Les conditions de vie des partisans d’Amal se sont pourtant particulièrement dégradées depuis le début de la crise, notamment en raison de l’épuisement du modèle clientéliste libanais dont le chef du Parlement a longtemps été le roi. « Avant la crise économique, mon salaire était de 1 500 dollars, maintenant il est d’environ 180 dollars », dit Haytham Kalot, qui travaille pour Télé-Liban et s’occupe en même temps de gérer les relations de presse du parti.
Les habitants du quartier s’entraident en récoltant de l’argent pour aider ceux qui sont dans le besoin. Mais cette solution-débrouille met surtout en avant les difficultés du parti à répondre aux besoins de son public, encore plus en comparaison avec les moyens conséquents mis en place par le Hezbollah. De quoi susciter tensions et jalousies entre les partisans des deux partis chiites. « Les réseaux d’Amal et du Hezbollah ne sont pas comparables. Bien sûr qu’il y a de la jalousie entre ceux qui ont des dollars et ceux qui sont payés en livres, et au sein même du Hezbollah également. Pour le moment, c’est caché, mais ça peut prendre de l’ampleur si la situation s’aggrave », explique Mohanad Hage Ali, chercheur au Carnegie Middle East Center.
Le Hezbollah continue de payer les salaires de ses plus proches partisans en dollars et, dans une logique purement clientéliste, vient en aide à des dizaines de milliers de familles. Le parti a récemment distribué ses cartes al-Sajjad qui permettent à leurs détenteurs d’accéder aux coopératives qu’il a mises en place et de bénéficier d’un accès à des produits alimentaires de première nécessité bien moins chers que sur le marché.« Avant, les gens du Hezbollah gagnaient moins bien leur vie que nous, aujourd’hui c’est l’inverse », résume Abbas Nahas, membre d’Amal et de la police du Parlement. « Ce n’est pas une question d’Amal et de Hezbollah. En général, toutes les personnes qui touchent leurs salaires en dollars continuent à vivre de manière normale. On a grandi ensemble, on s’entraide. Lorsque des gamins se disputent sur les réseaux sociaux ou dans les cafés, c’est personnel, pas politique », nuance Mohammad Ayache.
« C’est à cause de Berry que nous en sommes là »
Les tensions ont toujours existé entre les deux partis chiites, qui ne partagent pas la même ligne idéologique. Mais depuis le début des années 1990, elles ont été mises sous silence par les appareils des deux formations afin de ne pas provoquer une nouvelle fitna (discorde) au sein de la rue chiite. « Ils ne s’aiment pas. Mais avec la crise économique, ça s’est amplifié du côté des proches d’Amal, car ils sont davantage impactés par la crise », explique Hussein, la trentaine, dans un café de la banlieue sud. Accompagné de son ami Ali, les deux jeunes hommes, proches du Hezbollah, soutiennent que les tensions se voient principalement sur les réseaux sociaux où les partisans des deux camps se disputent virulemment. En cause : chacun accuse l’autre d’être responsable de la crise qui frappe le pays de plein fouet.
« En tant que communauté, c’est à cause de Berry et de son entourage que nous en sommes là. Même si je suis avec le Hezbollah, je reconnais qu’il a couvert leur corruption », dit Hussein. Ces critiques vis-à-vis de la politique interne du Hezbollah et particulièrement de ses alliances se font de plus en plus entendre au sein de son public depuis le soulèvement populaire d’octobre 2019. « Je suis fonctionnaire et je touche mon salaire en livres libanaises. Et eux (les partisans du Hezbollah) vivent confortablement alors qu’ils sont la cause des problèmes dans le pays, s’insurge un membre d’Amal, qui a souhaité garder l’anonymat. C’est inacceptable! La situation financière et les sanctions américaines, c’est à cause du Hezbollah et de ses armes. »
« En tant que communauté, c’est à cause de Berry et de son entourage que nous en sommes là. Même si je suis avec le Hezbollah, je reconnais qu’il a couvert leur corruption », dit Hussein. Ces critiques vis-à-vis de la politique interne du Hezbollah et particulièrement de ses alliances se font de plus en plus entendre au sein de son public depuis le soulèvement populaire d’octobre 2019. « Je suis fonctionnaire et je touche mon salaire en livres libanaises. Et eux (les partisans du Hezbollah) vivent confortablement alors qu’ils sont la cause des problèmes dans le pays, s’insurge un membre d’Amal, qui a souhaité garder l’anonymat. C’est inacceptable! La situation financière et les sanctions américaines, c’est à cause du Hezbollah et de ses armes. »
Selon Mohanad Hage Ali, ce sont deux récits opposés de la crise qui divisent les partisans des deux parties, mais qui ne sont pas encore exposés sur la scène publique. Pour les pro-Amal, « le Hezbollah serait partiellement à blâmer à cause de ses alliances régionales, mais aussi nationales (en référence au Courant patriotique libre) et le financement iranien en dollars. Quant aux soutiens du Hezbollah, ils considèrent que la situation économique est le résultat de la corruption endémique de la classe politique », explique le spécialiste. Les divisions sont pour le moment contenues par les appareils politiques. En désaccord sur la question de la formation du gouvernement, Amal et le Hezbollah ont récemment accordé leurs violons pour afficher un front uni. « L’alliance au sein du commandement est inébranlable », affirme Hussein. « Nous quittons l’ère où le Hezbollah bénéficiait du soutien absolu de la communauté chiite », nuance toutefois Mohanad Hage Ali.