Source: L'Orient Le-Jour
Saturday 12 October 2024 15:06:27
« Je devais me rendre à Paris pour que mes enfants puissent intégrer l’école. Mais, mardi, j’ai reçu un mail m’informant de l’annulation de mon vol. Et je ne sais plus quoi faire. » Ce témoignage livré par Anna*, une mère de famille libanaise, à L’Orient-Le Jour reflète la grande crainte qui hante les Libanais depuis le début de la guerre, le 23 septembre : l’Aéroport international de Beyrouth pourrait-il être visé par des bombardements israéliens ? D'autant que la seule structure aéroportuaire civile du pays se trouve en pleine banlieue sud de Beyrouth, fief densément peuplé du Hezbollah, pilonné au quotidien par les bombes israéliennes.
Jusqu’ici, l’AIB n’est pas encore dans le collimateur de Tel-Aviv, notamment du fait de pressions américaines.
De leur côté, les autorités libanaises prennent des mesures sécuritaires pour éviter le scénario du pire. Mais « le Liban n’a aucune garantie sur ce plan », comme le confie une source gouvernementale haut placée. De quoi donner un nouvel élan à la bataille que mène l’opposition pour l’ouverture d’un autre aéroport.
Lundi, le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, a présidé une réunion consacrée à la sécurité de l’aéroport. Étaient présents le ministre sortant de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, et son collègue des Travaux publics, Ali Hamiyé (représentant le Hezbollah, exerçant une autorité de tutelle sur l’AIB). Il y avait aussi le commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun. Selon les informations de L’OLJ, les discussions ont porté sur les moyens de renforcer la sécurité de l’AIB. « Nous savons que personne ne touchera à l’aéroport s’il n’est pas utilisé pour le trafic d’armes (pour le compte du Hezbollah, NDLR) », affirme la source gouvernementale citée plus haut.
C’est donc pour renforcer et durcir les mesures de sécurité de l’aéroport que M. Mikati a convoqué la réunion de lundi. Mais il y a visiblement un autre objectif. « Dans la forme, la démarche a servi à adresser un message clair aux pays impliqués dans le dossier du conflit en cours : aujourd’hui, c’est l’institution militaire qui est aux commandes à l’AIB », déclare à L’Orient-Le Jour une source informée de la teneur de la réunion. Cette idée a transparu dans les propos tenus par M. Hamiyé à l’issue de la réunion.
« Le ministère n’avalise l’atterrissage d’avions militaires portant des aides médicales ou ceux accomplissant des missions d’évacuation qu’après le feu vert de l’armée (…) », a-t-il dit affirmant dans le même temps que le service de sécurité de l’aéroport est, lui aussi, présent pour effectuer les inspections nécessaires si besoin.
Prenant la parole, M. Maoulaoui a précisé à cet égard que son ministère « donnera des instructions sévères » à cet appareil afin de garder l’AIB à l’abri de tous les dangers.
Ces décisions sont intervenues à l’heure où, selon nos informations, l’aéroport opère aujourd’hui à 35 % seulement de ses capacités. De sources concordantes, on apprend également que la Middle East Airlines, compagnie aérienne nationale, est seule à poursuivre ses activités au sein de l’AIB. Et pour cause : toutes les autres compagnies ont suspendu leurs vols craignant des frappes israéliennes.
Les informations parvenues à des milieux politiques libanais par voies diplomatiques quant à des « gages israéliens » de ne pas bombarder l’AIB seraient donc loin de calmer les appréhensions. D'ailleurs, Ali Hamiyé a déclaré mardi à l’AFP « n'avoir obtenu que “des engagements’’ et aucune “garantie” ferme qu'Israël ne bombarderait pas l'aéroport de Beyrouth, quelques jours après des avertissements lancés par l’armée israélienne qui avait affirmé, par la bouche de son porte-parole arabophone, Avichay Adraee, qu’elle « ne permettra pas que l’AIB soit le théâtre de trafic d’armes pour le Hezbollah ».
Pourtant, le porte-parole du département d’État américain, Matthew Miller, avait évoqué cette question lors d’un point de presse lundi. « Nous avons clairement dit aux Israéliens que les routes menant à l’aéroport devraient toujours être opérationnelles pour que les ressortissants américains, et autres, puissent quitter le pays », a-t-il dit. « Il est crucial pour nous que le seul aéroport du pays continue de fonctionner. D’autant que nous aidons les ressortissants désirant quitter le pays à le faire », dit à L’OLJ une source diplomatique américaine à Beyrouth.
Même son de cloche du côté de la Résidence des Pins. « Nous ne sommes pas encore dans une logique d’évacuation des ressortissants. Nous assistons leurs départs volontaires », souligne un diplomate français, affirmant que Paris prévoit d’évacuer ses ressortissants par voie maritime dans le seul cas où l’AIB arrêterait complètement ses activités. « C’est pour éviter cette éventualité que nos efforts politiques et diplomatiques en vue d’un cessez-le-feu se poursuivent », souligne le diplomate cité plus haut, indiquant que le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, s’est rendu mardi en Israël dans le cadre d’une tournée qui pourrait le mener vers la Jordanie aussi.
L’opposition revient à la charge
En attendant que ces efforts portent leurs fruits, les autorités libanaises « continuent d’accomplir leurs devoirs » sur ce plan, pour reprendre les termes du haut responsable gouvernemental cité plus haut. En face, les anti-Hezbollah sont revenus à la charge : il faut urgemment ouvrir un autre aéroport.
«Il est intolérable que le pays continue de se doter d’une seule structure aéroportuaire », affirme Salim Sayegh, député Kataëb dont le parti avait pressé il y a quelques mois pour la relance de l’activité de l’aéroport de Qlayaat, dans le Akkar. S'il dit qu'il ne voit « aucune raison valable » pour ne pas inaugurer un nouvel aéroport, le député affirme tout de même que « ce qui nous importe le plus, c’est l’accès à l’AIB. C’est ce qu’il faut préserver ».
Mais dans certains milieux parlementaires, on n’y va pas par quatre chemins : « Certains ne veulent pas donner aux chrétiens et aux sunnites des aéroports », dit un député qui a requis l’anonymat.
Mais pour Waddah Sadek, parlementaire beyrouthin, il y a d’autres raisons : « De toute évidence, je suis pour l’ouverture d’un nouvel aéroport. Mais je suis réaliste. Il est impossible d’ouvrir un tel chantier en pleine guerre pour des raisons techniques et logistiques, telles que les systèmes de sécurité, et les points de contrôle de la Sûreté générale, pour ne citer que ces deux exemples », dit le député à L’OLJ.