Samy Gemayel à « L’OLJ » : Affronter le Hezbollah avec ses armes politiques, c’est notre droit

Dans la confrontation politique avec le Hezbollah, Samy Gemayel est prêt à jouer toutes les cartes… sauf celle de la violence. Le chef des Kataëb est naturellement pour l’élection d’un nouveau président de la République. Mais pas n’importe lequel. À ses yeux, il faut user de tous les moyens pour empêcher le parti de Dieu d’« imposer son candidat aux Libanais et noyer le pays de nouveau dans un mandat similaire à celui de Michel Aoun ». C’est ainsi que M. Gemayel explicite à L’Orient-Le Jour sa menace, lancée en février dernier, de « paralyser l’élection présidentielle afin d’empêcher l’élection d’un président qui assurerait la couverture aux armes » du parti de Hassan Nasrallah. C’est donc l’équation « le vide ou le candidat du Hezbollah » qui bloque l’échéance à l’heure actuelle, et non les divergences entre les protagonistes chrétiens, comme insiste à le dire le président de la Chambre Nabih Berry. D’autant que « rien n’empêche les chrétiens de s’entendre », estime Samy Gemayel, qui ne cache toutefois pas ses interrogations quant à la capacité et la volonté du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil d’avaliser un candidat autour duquel s’accorderaient les chrétiens, mais qui ne bénéficierait pas du feu vert du Hezbollah. Vendredi, le leader des Kataëb a répondu aux questions de L’Orient-Le Jour.

Vous critiquez le comportement du camp adverse quant au blocage de la présidentielle à travers le jeu de défaut de quorum pratiqué par le Hezbollah et ses alliés. Mais aujourd’hui, vous menacez de faire de même. Comment expliquez-vous cela ?

Nous n’avons pas dit que nous allons torpiller les séances électorales. Nous avons dit que nous allons empêcher le Hezbollah d’imposer son candidat. Nous étions prêts à jouer le jeu démocratique en appliquant l’article 49 de la Constitution, notamment pour ce qui est de la tenue de séances électorales consécutives jusqu’à ce qu’un président soit élu. Ils ont refusé cela en imposant une nouvelle règle du jeu qui suppose un accord autour d’un nom. Il est tout à fait de notre droit de les affronter avec leurs armes (politiques) pour faire barrage aux tentatives du Hezbollah de nous imposer un président qui perpétuerait la ligne politique de Michel Aoun pour les six prochaines années.

À long terme, que deviendra la relation entre les Kataëb et les Forces libanaises, d’autant qu’en dépit de la convergence sur l’appui à la candidature de Michel Moawad, on a l’impression que le fossé entre les deux partis demeure béant ?

Notre relation avec les FL est aujourd’hui dans la phase de recouvrement de la confiance. Et je rappelle que nous avons convergé sur plusieurs dossiers, comme celui de l’enquête au sujet du port de Beyrouth. Mais en matière de présidentielle, il y a une coordination avec les FL. Nous sommes d’ailleurs en parfaite coordination avec les composantes de l’opposition, notamment les FL, mais aussi le bloc du Renouveau (de Michel Moawad), les députés de la contestation (ceux qui sont proches de notre lignée politique) ainsi que des députés joumblattistes. Et je tiens à souligner que je suis en contact direct et quotidien avec Michel Moawad.

Cela veut-il dire que vous êtes prêts à emprunter la troisième voie, comme le prône Walid Joumblatt, qui propose des noms de présidentiables autres que Michel Moawad ?

Pour le moment, Walid Joumblatt tient bon. Sachant que nous entretenons de bonnes relations avec les noms proposés par M. Joumblatt. Mais quand je dépose mon bulletin dans l’urne, je privilégie l’intérêt du pays. C’est pour cela que je suis pour un président capable de s’engager devant tous les Libanais à appliquer un programme clair axé sur les principes auxquels nous sommes attachés, à savoir la préservation de la souveraineté du Liban, le respect de la Constitution et la mise sur les rails des réformes exigées par le FMI, à commencer par celles listées dans l’accord préliminaire d’avril 2022.

À vos yeux, le blocage actuel n’est pas dû aux divergences entre les partis chrétiens majoritaires. Mais concrètement, qu’est-ce qui empêche un accord entre ceux-ci, sachant qu’ils convergent sur l’opposition à la candidature de Sleiman Frangié ?

Rien n’empêche une entente entre les chrétiens, à condition de rester loin des intérêts personnels. Nous avons vu où ces intérêts nous ont menés durant les six dernières années. Il faut donc proposer des noms capables de sauver le pays.

Quant à la candidature de Sleiman Frangié, je rappelle que le problème n’est pas avec sa personne, mais avec la ligne politique qu’il représente. Sauf que la convergence sur ce point ne suffit pas. La mésentente entre le Hezbollah et le CPL est dans notre intérêt parce qu’elle est à même d’affaiblir le parti chiite et de lui retirer une couverture chrétienne à ses armes. Mais il y a une question qui se pose : (le chef du Courant patriotique libre) Gebran Bassil, qui prend aujourd’hui ses distances par rapport au Hezbollah, serait-il disposé à avaliser un candidat, même si le parti de Dieu ne le soutient pas ? Il faut répondre à la question parce qu’il ne suffit pas que M. Bassil s’oppose à M. Frangié. Car l’éventualité de voir M. Bassil appuyer une figure chrétienne (autre que le chef des Marada) avalisée par le Hezbollah n’est pas à exclure.

Comment interpréter les changements géopolitiques dans la région ? Et quelles répercussions auront-ils sur le Liban ?

Nous ne pouvons pas encore nous prononcer au sujet de l’accord irano-saoudien (du 10 mars), ni sur le retour du régime Assad dans le giron arabe. Ce que je peux dire, c’est que ces pays œuvrent pour préserver leurs intérêts. Mais pour ce qui est de la normalisation des rapports entre Beyrouth et Damas, elle ne doit pas se faire avant que plusieurs dossiers ne soient réglés, à savoir : le tracé des frontières terrestres, la question des réfugiés, les Syriens recherchés par la justice libanaise (dont de hauts responsables au sein du régime Assad), et les disparus et détenus libanais dans les prisons syriennes.