Liban: L’inflation n’est pas près de freiner son ascension

Pas de surprise, mais une confirmation : l’indice des prix à la consommation (IPC) calculé par l’Administration centrale de la statistique (ACS) continue bien son ascension vers des sommets toujours plus élevés, au fur et à mesure que le pays s’enlise dans une crise, elle, de plus en plus profonde.

Publiés hier, ces chiffres officiels de l’inflation révèlent ainsi que les prix ont augmenté en mars, avec un bond de +157,86 % en rythme annuel, érodant toujours plus le pouvoir d’achat des Libanais payés en livres. « L’inflation constatée est surtout liée à la dépréciation de la monnaie nationale, les différences de prix ne sont pas du tout les mêmes en dollars », a précisé à L’Orient-Le Jour le président du syndicat des importateurs de denrées alimentaires, Hani Bohsali.

À souligner que c’est également au mois de mars que la monnaie nationale, qui semblait s’être stabilisée en début d’année autour de la barre des 9 000 livres pour un dollar sur le marché parallèle – celui qui donne le « la » à l’ensemble des agents économiques –, avait affolé les compteurs en bondissant au-dessus des 15 000 livres avant de se replier aux environs des 12 000 où elle s’est depuis stationnée.

Pas de confiance

La mauvaise nouvelle, c’est que rien ne permet pour l’instant de miser sur une inversion de la tendance : la classe politique est toujours aux abonnés absents ; les banques continuent de restreindre l’accès des déposants à leurs comptes en devises et de spéculer contre la livre en proposant des produits financiers qui profitent aux détenteurs de dollars frais ; et la Banque du Liban, qui fait tourner sans relâche la planche à billets depuis le début de la crise, a laissé entendre à plusieurs reprises qu’elle ne pourrait plus maintenir au-delà de l’été les mécanismes de subventions bénéficiant aux importateurs de certains produits (carburants, blé, médicaments, matériel médical et certains biens de consommation).

La suppression des mécanismes actuels et leur remplacement par une aide financière directe à certaines catégories de ménages, et qui serait maintenue pendant un an, reviennent régulièrement sur la table depuis des mois. Le sujet a d’ailleurs été une nouvelle fois abordé hier lors d’une réunion entre le président Michel Aoun et une délégation parlementaire. Hani Bohsali précise de son côté que la BDL a assuré à son syndicat, lors d’une réunion mardi, que les subventions seront bien débloquées pour les dossiers des importateurs déjà validés, malgré les retards constatés par ces derniers.

Si ces mécanismes sont régulièrement la cible de critiques, ils permettaient néanmoins jusqu’à présent aux entrepreneurs de bonne foi de limiter la hausse des prix des produits concernés. « En théorie du moins », commente un grossiste du Mont-Liban, qui soupçonne de nombreux commerçants de stocker des marchandises subventionnées pour les revendre à beaucoup plus cher lorsque les mécanismes auront été suspendus. Il critique également les commerçants qui ajustent leurs prix en livres au taux du marché parallèle même lorsqu’ils ont acheté leurs marchandises à un taux inférieur. « Pour être correct, un commerçant ne devrait majorer que la portion du prix en livres qui correspond à son profit, vu qu’il a en principe déjà réglé son fournisseur quand le taux de change était moins élevé. Or en majorant les tarifs comme ils le font, les commerçants abusent leurs clients et contribuent en plus à accentuer l’inflation et la dépréciation de la livre », déplore-t-il.

Pour les organisations représentant les commerçants et les industriels, le véritable problème est l’absence totale de confiance des agents économiques dans les institutions et les banques. « Relancer la confiance aurait un effet bien plus significatif sur l’économie que toutes les mesures palliatives qui ont été mises en place depuis le début de la crise », commente le président de l’Association des commerçants de Beyrouth, Nicolas Chammas.« Nous ne pouvons pas travailler sereinement avec autant d’incertitude et un taux de change qui peut bondir de 2 000 livres en une journée comme ça a été le cas en mars », acquiesce le vice-président de l’Association des industriels, Ziyad Bekdache.

Interrogé sur ses attentes vis-à-vis de la décision de la Banque du Liban de demander aux banques d’assumer aussi les opérations de change en se connectant notamment à la plate-forme Sayrafa – lancée en juin pour les agents de change agréés –, le syndicaliste a livré un avis mitigé. « Toute initiative, bien étudiée et appliquée, est la bienvenue. Nous pensons que cet outil peut servir à réduire l’influence des plates-formes qui relayent l’évolution du taux dollar/livre de manière totalement opaque », a-t-il expliqué. « Mais les contraintes qui sont envisagées dans le cadre de sa mise en œuvre risquent de limiter son efficacité », souligne-t-il, évoquant le fait que les opérations de change assumées par les banques ne pourront pas se faire directement à partir des comptes en devises dont l’accès a été limité, ou que seules certaines catégories d’agents pourront acheter des dollars auprès de leurs banques. « Or, ceux qui ne rentrent pas dans ces catégories n’auront pas d’autres choix que de s’approvisionner sur le marché parallèle », conclut-il.

Le ton est encore plus désabusé du côté de l’Association des industriels. « Ce n’est pas une solution suffisante pour relancer la confiance, même si elle renforcera un peu la transparence sur le marché des changes », considère Ziyad Bekdache. Il déplore cependant le retard dans le lancement de cette mesure annoncée en mars et qui ne devrait pas être opérationnelle avant la fin du mois.