Source: Orient le jour
Tuesday 13 April 2021 08:59:02
C’est un mois de ramadan bien morose que Zeinab Moussaoui et sa famille s’apprêtent à passer cette année à partir de ce mardi. Pas question de préparer plusieurs plats ni de prévoir de grandes tablées d’invités pour l’iftar, le repas qui marque chaque soir la rupture du jeûne et rassemble d’habitude toute la famille. Cette mère de trois enfants ainsi que d’autres fidèles à travers le Liban vont devoir s’adapter à la pandémie ainsi qu’à la crise économique, et cuisiner en gardant un œil sur le budget.
« On doit désormais apprendre à faire des économies. Le ramadan s’annonce difficile pour la classe moyenne et pour les plus pauvres. Même au niveau spirituel, c’est le désespoir. Tout le monde va mal, physiquement et moralement », confie Zeinab, 32 ans, à L’Orient-Le Jour. « Non seulement les produits alimentaires ont renchéri, mais certains sont tout simplement introuvables », ajoute-t-elle.
Même le « fattouche », servi chaque soir pendant le ramadan, est désormais inaccessible à de nombreux foyers. Selon le fameux «indice fattouche », publié depuis 2012 par le ministère de l’Économie pendant le ramadan, une famille de cinq personnes devra désormais dépenser 18 500 LL par bol de fattouche, contre 6 000 LL l’année dernière et 4 500 LL en 2019. « On fera sans doute un semblant de fattouche sans acheter tous les légumes qui le composent », soupire la jeune femme qui a commencé à s’approvisionner il y a plusieurs semaines.
« C’est la catastrophe ! »
Si les prix ont tendance, chaque année, à augmenter lors du ramadan, cette année le contexte général est déjà marqué par une crise économique grave qui se traduit notamment par une hyperinflation. Selon les dernières données livrées par l’Administration centrale de la statistique (ACS), l’indice mensuel des prix à la consommation en janvier a augmenté de 147,55 % en glissement annuel et de 2,84 % par rapport à décembre dernier (évalué à 145,84 % en glissement annuel), tandis que l’indice de février a augmenté de 155,4 % par rapport à février 2020 et de 4,59 % en rythme mensuel. En ce qui concerne les prix de l’alimentation et des boissons non alcoolisées, ils ont augmenté de 395,28 % en janvier et de 417,07 % en février en glissement annuel.
Il y a un mois, Zeinab Moussaoui a acheté une grande bouteille de « jellab », ce sirop à base de caroube, de dattes et de mélasse de raisin, également servi pour la rupture du jeûne, à 43 000 LL. « La même bouteille vaut désormais 60 000 LL ! »
se désole-t-elle. « Avant la crise, j’achetais cinq kilos de sucre à 3 000 LL. Il y a quelques jours, j’en ai acheté 10 kilos à 60 000 LL. Un kilo de riz se vend désormais à 25 000 LL et un kilo de lentilles à 15 000 LL. C’est la catastrophe ! » Pour faire des économies et s’assurer de trouver tous les produits dont elle a besoin, la jeune mère de famille a commencé à acheter des produits alimentaires directement auprès des grossistes. Elle a même constitué un stock de couches et de lait en poudre pour ses enfants, dont le petit dernier est tout juste âgé de deux mois. « J’ai maintenant des couches de toutes les tailles, qui devraient me suffire pendant à peu près un an. J’ai également assez de lait pour les six prochains mois », assure-t-elle.
Cuisiner léger
Sarah, 38 ans, observe avec tristesse les privations que devront s’imposer de nombreuses personnes dans cette crise économique. « Ça pouvait encore aller l’année dernière malgré le confinement », lance cette journaliste qui rompra le jeûne tous les soirs en compagnie de ses parents.
Pour de nombreux foyers, la solution sera de cuisiner léger cette année, une pratique qui n’est pas sans risques lorsqu’on a passé toute une journée sans manger ni boire, et qu’un repas consistant est nécessaire pour reprendre des forces. « On peut très bien prendre des repas légers pour la rupture du jeûne, mais il ne faut pas faire l’impasse sur le souhour (le repas de l’aube) qui permet de tenir pendant la journée », conseille-t-elle. Elle ajoute : « Beaucoup comptent favoriser les recettes à base de fèves, de haricots ou de lentilles, ou encore les fritures. Ces plats sont moins chers que ceux à base de viande ou de poulet, même si le kilo de fèves est désormais à 27 000 LL et même si les pommes de terre ont renchéri et coûtent 6 000 livres le kilo. »
Selon les calculs de Sarah, il faudrait « au moins 500 000 LL par jour pour pouvoir préparer le même menu que les années précédentes (…) La plupart des gens se contenteront, cette année, de cuisiner un seul plat en grande quantité et de le consommer pendant plusieurs jours pour faire des économies. J’en connais certains qui essaient de planter des légumes chez eux ».
Certains foyers devront même faire l’impasse sur les traditionnelles galettes du ramadan, dont les ingrédients sont désormais hors de prix, estime Sarah. « Pour confectionner ces galettes, il faut du sucre, du lait, du beurre et de la farine. Or, tous ces produits ont renchéri de manière spectaculaire », dit-elle.
Le ramadan, mois de la charité, « est supposé être le temps où on essaie d’aider les plus pauvres, mais tout le monde va se priver de quelque chose cette année », conclut-elle. Dans l’espoir que la fête du Fitr, qui marque la fin du ramadan, aura ouvert des perspectives plus prometteuses.