Source: AFP
Tuesday 6 April 2021 12:00:58
Ses déclarations ont sonné comme une provocation à l’égard du pouvoir en place, trois jours après la vague d’arrestations menées par les autorités jordaniennes. Le prince Hamza, demi-frère du roi de Jordanie Abdallah II, assigné à résidence depuis samedi, a déclaré dans un enregistrement audio diffusé sur Twitter dans la nuit de dimanche à lundi qu’il n’obéirait pas aux ordres du chef d’état-major, le général Youssef Huneiti « quand il me dit que je ne suis pas autorisé à sortir, à tweeter, à communiquer avec les gens et que je suis seulement autorisé à voir ma famille ».
Et même si, hier soir, le palais royal assurait que le prince Hamza avait promis de « rester fidèle » à « l’héritage de (ses) ancêtres, à Sa Majesté (le roi Abdallah II) ainsi qu’à son prince héritier », au terme d’une mission de médiation confiée à son oncle, le prince Hassan, la rupture semble être consommée.
Accusé, aux côtés d’une dizaine d’autres suspects, d’avoir collaboré avec une puissance étrangère pour « porter atteinte à la sécurité » du royaume, l’ancien prince héritier a nié en bloc les accusations qui lui sont portées.
Alors que les autorités jordaniennes n’ont pas précisé de quelles puissances étrangères il s’agissait, les récentes arrestations ordonnées par le royaume et l’assignation à résidence du prince Hamza semblent davantage relever d’une confrontation entre le roi et son demi-frère.
« Je pense que les allégations de soutien extérieur sont un moyen de distraction à ce stade. Cela ressemble à une purge interne contre celui qui est devenu une nuisance aux yeux du pouvoir établi », estime Andreas Krieg, professeur au King’s College de Londres. Au sein du royaume, la version officielle est également mise en doute par de nombreux observateurs et une partie de la population qui y voient une tentative d’écarter le prince Hamza du pouvoir. « Il est très populaire parmi les Jordaniens, mais il n’est plus le prince héritier et la scène est en train d’être pavée pour le prince héritier émergent, Hussein », indique Amer el-Sabaileh, expert en géopolitique actuellement basé à Amman, pour qui la présence du prince Hamza « pourrait créer des problèmes au sein du royaume, car certains pourraient le promouvoir comme une alternative ou un choix de changement ».
Âgé de 41 ans, Hamza représente une menace aux yeux de son demi-frère, le roi Abdallah II. En 2004 déjà, le souverain l’avait dépouillé de son titre de prince héritier pour le donner à son fils Hussein, contre la volonté de leur défunt père le roi Hussein, décédé en 1999, et de sa quatrième et ultime épouse, la reine Noor, mère de Hamza. « Prions pour que la vérité et la justice prévalent pour toutes les innocentes victimes de cette fourbe calomnie », a-t-elle d’ailleurs déclaré dimanche sur Twitter en soutien à son fils.
Cultivant la ressemblance avec son père, l’ancien prince héritier a intégré tout comme lui l’académie militaire Sandhurst en Angleterre, où il devient également pilote et obtient le rang de général de brigade. « Il y a des ressemblances physiques avec le défunt roi, mais les ressemblances concernent davantage son style personnel : humble, à la voix douce, Hamza montre de l’empathie avec les préoccupations des Jordaniens », observe Bessma Momani, enseignante en sciences politiques à l’université de Waterloo, au Canada.
Homme ordinaire
Au cours des dernières années, le prince Hamza n’a pas hésité à critiquer le pouvoir en place, accusant notamment le gouvernement d’autoritarisme et de « mauvaise gestion » après avoir approuvé une loi controversée sur l’impôt sur le revenu en 2018. Il a réitéré ses critiques dans sa vidéo transmise à la BBC par son avocat. « Malheureusement, ce pays s’est enfoncé dans la corruption, dans le népotisme et dans la mauvaise administration, avec pour résultat l’anéantissement ou la perte de l’espoir », a-t-il déclaré. Soutenu par une frange de la population, l’ancien prince héritier n’hésite pas à afficher sa solidarité avec le peuple. « Le prince Hamza a mobilisé un soutien sur la base de griefs légitimes dans le pays et répond à des préoccupations valables », ajoute Andreas Krieg.
Parmi ses soutiens, des personnalités tribales de Jordanie, dont certaines se sont récemment opposées au gouvernement en dénonçant sa corruption. « Hamza bénéficie du soutien de nombreux chefs tribaux, principalement parce qu’il a un contact apaisé avec eux, il assiste à leurs mariages et est considéré comme un “homme ordinaire” aux yeux de ses partisans », indique Bessma Momani, pour qui Hamza parle un « arabe également plus fort et un dialecte plus distinctement jordanien ».
La récente purge au sein du royaume pourrait être le signe d’une inquiétude des autorités de voir le pouvoir leur échapper, à l’heure où le royaume est touché par de nombreux problèmes. Durement touché par la pandémie du Covid-19, le royaume a récemment fait l’objet de vives critiques de la part de sa population pour sa mauvaise gestion de la crise sanitaire. Ces dernières semaines, plusieurs manifestations ont eu lieu dans différentes villes de Jordanie suite à une panne d’oxygène ayant provoqué la mort de plusieurs patients et pour s’opposer aux restrictions sanitaires, à la corruption et au clientélisme.
Les propos, rapportés sur Twitter, d’un médecin jordanien dénonçant, sur le site d’une revue scientifique, le fait que la morbidité postvaccinale ne soit pas correctement rapportée alors que « les niveaux de maladie après la vaccination sont sans précédent », témoignent de la gravité de la situation.
Alors que les luttes de pouvoir entre membres de la dynastie ébranlent la stabilité de façade affichée par le royaume jordanien depuis près d’un siècle, Hamza aurait intérêt à apaiser la situation rapidement.
Ce dernier « résiste jusqu’à présent, mais les choses devraient être résolues sous l’égide de la famille hachémite elle-même. Par conséquent, une sorte de consensus devrait être trouvé prochainement », soulignait Amer el-Sabaileh, quelques heures avant l’annonce d’une médiation familiale et le communiqué du palais royal.