Source: L'Orient Le-Jour
Saturday 16 November 2024 09:23:48
Le chef des Kataëb, Samy Gemayel, effectue actuellement une tournée diplomatique en France et aux États-Unis, au cours de laquelle il a notamment rencontré le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, l’envoyé spécial américain, Amos Hochstein, et le père du gendre de Donald Trump, Massad Boulos, considéré pendant un temps comme un intermédiaire possible dans les négociations pour mettre fin à la guerre au Liban. Dans un entretien avec L’Orient-Le Jour, Samy Gemayel expose sa vision de l’après-guerre et les messages qu’il a tenu à faire passer à Paris et à Washington.
Quel est l’objectif de votre tournée en France et aux États-Unis ?
L’objectif est de faire un travail de lobbying en faveur du Liban dans cette période très délicate. Ce que je répète à tous mes interlocuteurs, c’est que cette guerre ne peut pas se terminer par un compromis aux niveaux régional et international qui ne prenne pas en compte l’intérêt du Liban et celui des Libanais. Le Hezbollah défend l’intérêt de l’Iran et Israël son propre intérêt. Et personne ne parle aujourd’hui de l’intérêt du Liban, qui est absent de la table des négociations, ce qui est dramatique. Tout l’objectif à mes yeux est de faire en sorte que cette période se termine avec un espoir pour le Liban, celui de bâtir un État souverain, un État de droit, un pays réconcilié avec lui-même.
Avez-vous l’impression d’avoir été entendu ?
Oui. J’ai surtout fait passer trois messages très importants. Le premier, c’est la nécessité d’obtenir au plus vite un cessez-le-feu qui permette l’arrêt de la destruction et de l’opération militaire. Je ne suis pas dans la logique de ceux qui pensent que la guerre doit se prolonger pour en finir avec le Hezbollah. La destruction du Liban, les morts, les réfugiés, les villages entiers qui sont rayés de la carte, c’est un drame pour le pays et pour les Libanais. Plus la guerre va se prolonger, plus la situation va devenir intenable, avec un risque de tensions intralibanaises. Mais le cessez-le-feu ne doit pas non plus renforcer l’emprise de la milice au Liban.
Le deuxième message, c’est la défense de la souveraineté absolue de l’État et le désarmement de toutes les milices armées au Liban.
Le troisième message, c’est la nécessité de l’inclusion. Lorsque nous voulons rebâtir le Liban, il faut le faire avec tous les Libanais. Et il ne faut pas commettre à nouveau les fautes qui ont été faites par le passé, c’est-à-dire mettre des groupes à l’écart ou bien faire payer à la communauté chiite le prix de la politique du Hezbollah. Le Hezbollah, ce n’est pas la communauté chiite. C’est une milice qui représente les intérêts de l’Iran au Liban. Il ne représente pas les Libanais de confession chiite qui veulent vivre dans un État libanais qui les respecte et qui les traite en tant que citoyens.
Lors de vos discussions avec Amos Hochstein et Massad Boulos, avez-vous senti qu’il était possible de parvenir à un cessez-le-feu avant l’investiture de Donald Trump le 20 janvier prochain ou rapidement après ?
Amos Hochstein continue de travailler sur une solution pour obtenir un cessez-le-feu. Mais cette solution n’est pas idéale pour le Liban puisqu’elle ne résout en aucun cas les problèmes du pays. Elle implique essentiellement un retrait du Hezbollah au nord du Litani avec un risque qu’il renforce sa présence dans le reste du pays.
De façon plus globale, je doute que les négociations aboutissent avant le 20 janvier. Mais j’ai constaté que la nouvelle administration était déterminée à trouver une solution aux conflits au Liban et sur la scène israélo-palestinienne. Il y a une volonté claire d’avoir une paix à long terme.
Venons-en au deuxième point : le désarmement du Hezbollah. Cela doit-il faire l’objet d’une négociation israélo-iranienne ou intralibanaise ?
Le Hezbollah n’a pas accepté de discuter avec nous de quoi que ce soit qui a rapport avec la souveraineté et le désarmement des milices pendant trente ans. Donc considérer que cela peut désormais se résoudre en interne ne me semble pas très convaincant. Le Hezbollah est un projet iranien, avec un armement iranien, donc la communauté internationale doit nécessairement jouer un rôle dans le règlement de cette question.
Cela doit-il être une condition du cessez-le-feu ?
Pour l’instant, ça ne l’est pas. Ce qui est sûr, c’est qu’après tout ce qui s’est passé, il est hors de question pour beaucoup de Libanais de coexister à l’avenir avec une milice armée. On ne peut pas construire un État de droit avec des milices armées, quelles qu’elles soient.
La question du Hezbollah en tant qu’outil iranien à la frontière israélienne doit être résolue par le biais de la communauté internationale. Ensuite, ce sera notre rôle en tant que Libanais de mettre en œuvre une feuille de route pour assurer une transition qui soit saine et qui nous permette de bâtir un État. Voilà ce que j’ai proposé lors de ma tournée.
Le Hezbollah considère que ses armes sont sa raison d’être. S’il refuse de s’en débarrasser, c’est la guerre sans fin ?
Si la dimension régionale du Hezbollah est contenue et qu’il devient une milice avec des armes légères au Liban, on ne peut pas pour autant coexister avec lui. Il faudra s’asseoir avec lui, lui parler et remettre la question du divorce sur la table. Mais nous n’en sommes pas encore là. Il ne peut pas en tout cas y avoir de retour à la situation pré-7-Octobre.
On en arrive au troisième point. L’inclusion de la communauté chiite. Comment y parvenir ? Par des réformes constitutionnelles ?
Il faudra prévoir des élections législatives anticipées à l’issue de cette guerre, notamment pour que les Libanais, y compris la communauté chiite, puissent à nouveau choisir leurs représentants. Sinon, il faut commencer par appliquer Taëf. Notamment en ce qui concerne la décentralisation, la création d’un Sénat, le désarmement des milices. Mais aussi corriger les failles de l’accord, par exemple le fait qu’il ne prévoit pas un délai maximum pour former un gouvernement une fois le Premier ministre désigné.
Et la déconfessionnalisation ?
Il faut d’abord que le système fonctionne. Ces mesures doivent nous permettre d’arriver ensuite à une vraie citoyenneté puis d’aboutir à une déconfessionnalisation de l’État. Mais il faut d’abord commencer à mettre le train sur les rails. Ensuite, nous avons beaucoup de choses à proposer, mais ce n’est pas le moment d’en parler.
Cela ne règle pas la question de l’inclusion des chiites…
Il va falloir envisager des réformes constitutionnelles pour répondre aux angoisses de cette communauté. Par exemple, le fait que le tandem chiite dispose de facto d’un monopole sur le ministère des Finances pour obtenir la troisième signature qui lui permet d’avoir un contrôle de l’exécutif n’est pas tenable sur le long terme et il faudra offrir de véritables compensations pour sortir de cette situation. Mais il est encore trop tôt pour entrer dans les détails.
Avez-vous commencé à en discuter avec Nabih Berry ?
Non, pas pour le moment. Il faut que personne ne se sente lésé dans le pays. Il faut répondre aux angoisses des chrétiens, des sunnites, des chiites, des druzes et aussi de tous les Libanais qui ne souhaitent pas passer par l’intermédiaire des communautés pour exister. Tout cela commence par le principe d’égalité entre les citoyens. Rien n’est possible tant qu’il y a une milice armée qui fausse tout le système.
Est-ce une vision de l’après-guerre qui est partagée aujourd’hui au sein de la classe politique ?
La classe politique ne pense malheureusement pas à ça. Il y a les ego, les ambitions personnelles, et la présidence est devenue une fixette pour beaucoup de gens, donc tout le monde attend les résultats de la guerre pour essayer de voir les équilibres qui vont en résulter. Je considère pour ma part que ce n’est pas comme ça que l’on va bâtir un pays et que l’on va assainir les relations entre les Libanais. Il y a une réconciliation entre les Libanais qui n’a jamais été faite depuis la guerre du Liban et qui doit se faire aujourd’hui. Cela passe par un discours de franchise de toutes les parties. Chacun doit dire ce qu’il ressent, et il y a une reconnaissance mutuelle qui doit avoir lieu.